Impact potentiel de la caféine sur les écosystèmes aquatiques

La caféine rejoint l’environnement via plusieurs biais : les stations d’épuration, l’épandage des boues de station, le compostage des déchets organiques et le traitement des déchets de transformation du café. On la retrouve désormais dans la quasi-totalité des milieux d’eau douce. La caféine a fait l’objet de recherches pour être utilisée comme pesticide contre les grenouilles sur les îles Hawaï entre 2006 et 2012 (Marr et al. 2010). Cette autorisation a finalement été retirée du fait de la méconnaissance des effets secondaires sur l’environnement et sur la santé humaine. Le marc de café continue néanmoins d’être utilisé par les particuliers comme répulsif contre les limaces et les escargots (Hollingsworth, Armstrong, et Campbell 2002). Des effets insecticides et acaricides sont également reportés (Russell et al. 1991).
La dégradation de l’alcaloïde est assez rapide sous l’effet de la lumière, mais ralentit lorsque l’exposition aux UV diminue. En dépit de sa photodégradation, on trouve la caféine en concentration de plus en plus importante dans la plupart des milieux aquatiques du fait de quantités grandissantes émises au fil du temps. Les concentrations observées dans les milieux naturels sont communément comprises entre 0,1 et 900 ng/L (Siegener et Chen 2002; Benotti et Brownawell 2007; Rodriguez del Rey, Granek, et Sylvester 2012).
En 2003, des scientifiques tirent la sonnette d’alarme, publiant des articles sur les effets possibles de la caféine sur les espèces vivantes. Des chercheurs (Sanderson et al. 2003) signalent que les concentrations observées dans l’environnement – et leurs conséquences possibles sur les espèces vivantes – nécessiterait une évaluation du risque officielle de la part de l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux. En 2008, une publication mentionne au contraire l’innocuité environnementale de la caféine (Moore et al. 2008) mais l’expérimentation concentre ses test sur trois espèces uniquement (la ceriodaphnie, le chironome et un poisson) qui s’avèrent particulièrement résistantes à la caféine. En 2009, une thèse étudie les effets de trois substances (dont la caféine) sur différentes espèces (Palenske 2009). Les résultats indiquent que sur certains stades larvaires du Xénope, les concentrations en caféine communément rencontrées dans l’environnement peuvent entrainer un ralentissement du rythme cardiaque sur 20% de la population. Des étude antérieures mettaient déjà en évidence la sensibilité du Xénope à la caféine (Gaudet‐Hull et al. 1994; Fort et al. 1998). Au final, les études prenant en compte les amphibiens insistent sur la grande sensibilité de ce groupe taxonomique à la caféine, tandis que celles portant sur les poissons, les insectes ou les crustacés sont moins alarmantes.
La méthode comparative permet de prendre en compte un plus grand nombre de données et de mettre les résultats en perspective avec davantage d’espèces et de substances (Jolliet et al. 2003; Pennington, Payet, et Hauschild 2004; Henderson et al. 2011). L’analyse des résultats de la base de données AiiDA (Aquatic Impact Indicator Database) (Payet et Hugonnot 2014) permet d’expliquer les conclusions divergentes des études scientifiques. Ces résultats (reportés ci-dessous) montrent la réponse toxicologique moyenne des espèces aquatiques. Les résultats des tests chroniques pour vingt-et-une espèces différentes sont présentés et montrent une variabilité importante allant de 0,1 ug/L pour l’espèce la plus sensible (l’amphibien Xenopus laevis), à plus de 3g/L pour l’espèce la plus résistante (le mollusque Elliptio complanata).
Figure 1: Présentation des résultats chroniques moyens des tests ecotoxicologiques de 21 espèces à la caféine - (Extrait du logiciel AiiDA - Aquatic Impact Indicator Database (Payet et Hugonnot 2014)).
Les concentrations couramment reportées dans la littérature scientifique sont présentées dans la zone rosée, tandis que les seuls amphibiens pour lesquels nous disposons de tests à l’heure actuelle sont entourés en rouge. La figure montre que les amphibiens sont le groupe taxonomique le plus sensible à la caféine et que leur sensibilité est voisine des concentrations observées dans les eaux douces aujourd’hui.
Il convient de garder à l’esprit que les tests sont réalisés dans des laboratoires, avec généralement une seule substance (pas de mélange) et des conditions de milieu homogène. L’environnement, lui, expose les espèces à des cocktails de substances dans des milieux variables et très hétérogènes. L’évaluation des risques applique des facteurs de sécurité pour pleinement prendre en compte ces aspects. Les données exposées ci-dessus montrent que l’application de facteurs de sécurité rapprocherait potentiellement plusieurs espèces de la zone de risque. Ceci va dans le sens de recherches plus récentes demandant d’aborder la question de manière plus approfondie en prenant en compte à la fois des écosystèmes différents (par exemple le milieu marin) (Dafouz et al. 2018) et des substances mélangées (Lee et Wang 2015; Luo et al. 2019).
Toutes ces données, bien que publiques, sont peu diffusées. Cela peut sembler surprenant à l’heure actuelle où la préservation de l’environnement suscite tant d’échanges et où la biodiversité est un enjeu crucial. Il y a pour cela deux explications : d’une part, nos sociétés font face à des enjeux environnementaux majeurs, dont certains sont clairement établis et nécessitent un engagement important. Il n’y a que très peu de place pour les questions non avérées où secondaires. D’autre part, l’expérience montre que les réglementations environnementales n’ont pour l’heure jamais agi sur des substances issues de déchets. Ce type d’action est désormais courant pour des substances (non commerciales) comme la dioxine lorsque les impacts concernent la santé humaine, ou pour des substances commerciales comme les pesticides dès lors qu’ils impactent les milieux naturels. En revanche, une réglementation portant sur les substances issues de déchets afin de préserver la biodiversité n’a pas encore vu le jour.
Cela étant, faut-il pour autant prôner le compostage du marc de café au risque d’augmenter la concentration en caféine dans les milieux naturels ? La question peut se poser. Les atteintes à la biodiversité sont invariablement multifactorielles ; c’est le cas pour le déclin mondial des amphibiens que l’on observe depuis maintenant trois décennies (Bishop et al. 2012) ; nul ne saurait imputer la disparition des amphibiens à la seule caféine. Néanmoins, la sensibilité (spécifique) des amphibiens à cette substance est établie, et le marc de café n’apporte rien au compost. Dans ce cas, il pourrait faire sens de l’incinérer ou bien de lui trouver d’autres usages comme la production de champignons (cf. https://grocycle.com/growing-mushrooms-in-coffee-grounds/), en veillant à ce qu’il ne soit pas renvoyé dans l’environnement.
Références :
- Benotti, Mark J., et Bruce J. Brownawell. 2007. « Distributions of Pharmaceuticals in an Urban Estuary during both Dry- and Wet-Weather Conditions ». Environmental Science & Technology 41 (16): 5795‑5802. https://doi.org/10.1021/es0629965.
- Bishop, P. J., A. Angulo, J. P. Lewis, R. D. Moore, G. B. Rabb, et J. Garcia Moreno. 2012. « The Amphibian Extinction Crisis – what will it take to put the action into the Amphibian Conservation Action Plan? » S.A.P.I.EN.S. Surveys and Perspectives Integrating Environment and Society, no 5.2 (août). http://journals.openedition.org/sapiens/1406.
- Dafouz, Raquel, Neus Cáceres, José Luis Rodríguez-Gil, Nicola Mastroianni, Miren López de Alda, Damià Barceló, Ángel Gil de Miguel, et Yolanda Valcárcel. 2018. « Does the Presence of Caffeine in the Marine Environment Represent an Environmental Risk? A Regional and Global Study ». The Science of the Total Environment 615 (février): 632‑42. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2017.09.155.
- Fort, D. J., E. L. Stover, T. L. Propst, B. C. Faulkner, T. A. Vollmuth, et F. J. Murray. 1998. « Evaluation of the Developmental Toxicity of Caffeine and Caffeine Metabolites using the Frog Embryo Teratogenesis Assay—Xenopus (FETAX) ». Food and Chemical Toxicology 36 (7): 591‑600. https://doi.org/10.1016/S0278-6915(98)00021-0.
- Gaudet‐Hull, Angela M., James R. Rayburn, John A. Bantle, Dennis T. Burton, Steven D. Turley, Douglas A. Dawson, James N. Dumont, et al. 1994. « Fetax Interlaboratory Validation Study: Phase II Testing ». Environmental Toxicology and Chemistry 13 (10): 1629‑37. https://doi.org/10.1002/etc.5620131012.
- Henderson, Andrew D., Michael Z. Hauschild, Dik van de Meent, Mark A. J. Huijbregts, Henrik Fred Larsen, Manuele Margni, Thomas E. McKone, Jerome Payet, Ralph K. Rosenbaum, et Olivier Jolliet. 2011. « USEtox Fate and Ecotoxicity Factors for Comparative Assessment of Toxic Emissions in Life Cycle Analysis: Sensitivity to Key Chemical Properties ». The International Journal of Life Cycle Assessment 16 (8): 701. https://doi.org/10.1007/s11367-011-0294-6.
- Hollingsworth, Robert G., John W. Armstrong, et Earl Campbell. 2002. « Caffeine as a repellent for slugs and snails ». Nature 417 (6892): 915‑16. https://doi.org/10.1038/417915a.
- Jolliet, Olivier, Manuele Margni, Raphaël Charles, Sébastien Humbert, Jérôme Payet, Gerald Rebitzer, et Ralph Rosenbaum. 2003. « IMPACT 2002+: A New Life Cycle Impact Assessment Methodology ». The International Journal of Life Cycle Assessment 8 (6): 324. https://doi.org/10.1007/BF02978505.
- Lee, Wenjau, et Yun-Chi Wang. 2015. « Assessing Developmental Toxicity of Caffeine and Sweeteners in Medaka (Oryzias Latipes) ». SpringerPlus 4: 486. https://doi.org/10.1186/s40064-015-1284-0.
- Luo, Jingyang, Qin Zhang, Miao Cao, Lijuan Wu, Jiashun Cao, Fang Fang, Chao Li, Zhaoxia Xue, et Qian Feng. 2019. « Ecotoxicity and environmental fates of newly recognized contaminants-artificial sweeteners: A review ». Science of The Total Environment 653 (février): 1149‑60. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2018.10.445.
- Marr, Shenandoah R., Steve A. Johnson, Arnold H. Hara, et Monica E. McGarrity. 2010. « Preliminary evaluation of the potential of the helminth parasite Rhabdias elegans as a biological control agent for invasive Puerto Rican coquís (Eleutherodactylus coqui) in Hawaii ». Biological Control 54 (2): 69‑74. https://doi.org/10.1016/j.biocontrol.2010.04.012.
- Moore, M. T., S. L. Greenway, J. L. Farris, et B. Guerra. 2008. « Assessing Caffeine as an Emerging Environmental Concern Using Conventional Approaches ». Archives of Environmental Contamination and Toxicology 54 (1): 31‑35. https://doi.org/10.1007/s00244-007-9059-4.
- Palenske, Nicole Marie. 2009. « EFFECTS OF TRICLOSAN, TRICLOCARBAN, AND CAFFEINE EXPOSURE ON THE DEVELOPMENT OF AMPHIBIAN LARVAE ». PhD, UNIVERSITY OF NORTH TEXAS.
- Payet, Jerome, et Odilon Hugonnot. 2014. « Aiida- the Aquatic Impacts indicators Database – Methodological guideline ». Tools-for Environment – Switzerland. http://aiida.tools4env.com/public/doc/Guide_methodologique_v1.0en.pdf.
- Pennington, David W., Jerome Payet, et Michael Hauschild. 2004. « Aquatic Ecotoxicological Indicators in Life-Cycle Assessment ». Environmental Toxicology and Chemistry 23 (7): 1796‑1807. https://doi.org/10.1897/03-157.
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- Russell, Donald W., Enrique Fernández-Caldas, Mark C. Swanson, Mitchel J. Seleznick, Walter L. Trudeau, et Richard F. Lockey. 1991. « Caffeine, a naturally occurring acaricide ». Journal of Allergy and Clinical Immunology 87 (1, Part 1): 107‑10. https://doi.org/10.1016/0091-6749(91)90220-I.
- Sanderson, Hans, David J. Johnson, Christian J. Wilson, Richard A. Brain, et Keith R. Solomon. 2003. « Probabilistic Hazard Assessment of Environmentally Occurring Pharmaceuticals Toxicity to Fish, Daphnids and Algae by ECOSAR Screening ». Toxicology Letters 144 (3): 383‑95. https://doi.org/10.1016/s0378-4274(03)00257-1.
- Siegener, R., et R. F. Chen. 2002. « Caffeine in Boston Harbor seawater ». Marine Pollution Bulletin 44 (5): 383‑87. https://doi.org/10.1016/S0025-326X(00)00176-4.